Il y a exactement 57 ans, débutant comme correspondant provincial à Izmir, j’ai perduré ma vie tempétueuse à Istanbul, puis en exil depuis 38 ans. Désormais, je laisse aux jeunes amis la cause que j’ai défendue ma vie durant et je me mets à partager avec mes lecteurs mon passé de plus d’un demi siècle.
Ceux-ci sont les notes d’un journaliste socialiste forcé à l’exil par la junte du 12 mars (1971) et déclaré « apatride » par la junte du 12 septembre (1980). »

C’est ainsi que débute le dernier livre que j’ai lu et qui était sans doute un des meilleurs que j’ai lu : « Vatansiz Gazeteci », ce qu’on pourrait traduire en français comme « Le journaliste apatride ». Ce merveilleux roman autobiographique à tendance de documentaire est rédigé par Dogan Özgüden, ce fameux « journaliste socialiste forcé à l’exil » en 1971 et qui vit actuellement en Belgique.

Malheureusement, ce livre écrit en turc n’est pas (encore ?) traduit en français ou en une autre langue. Je me suis permis de traduire moi-même les premières lignes de l’introduction.

Le premier tome de ce roman raconte la première moitié de la vie de Dogan Özgüden, à savoir depuis sa naissance dans un petit village d’Anatolie jusqu’à son départ illégal de la Turquie suite à la menace de condamnation par les tribunaux de la loi martiale. Il a connu une vie « tempétueuse » en effet et a vécu tout ce qui peut arriver à un journaliste dans un pays où ni liberté de presse n’existait, ni liberté d’opinion, ni celle d’expression ou d’association.

Suite à une enfance où la profession du père cheminot déterminait le lieu de vie de la famille et d’étude pour Özgüden, ce dernier, n’ayant pas pu réaliser ses rêves de physicien pour des raisons financières, a effectué des études professionnelles commerciales en vue de devenir comptable ou banquier tel que le souhaitaient ses parents. Ayant connu la misère de la population dans différents villes et villages d’Anatolie pendant la seconde guerre mondiale qui a engendré la famine et une épidémie, Özgüden a toujours été sensible aux questions du peuple pour qui il dévouera sa vie.

Özgüden, pour financer ses hautes études, a choisi de travailler comme journaliste pour un journal local d’Izmir plutôt que de servir les institutions de l’OTAN, récemment implantées aux côtes égéennes. Ses ambitions et talents l’ont mené, à un âge très jeune, à de hauts postes dans le secteur de la presse écrite, mais aussi au sein des organisations syndicales pour les droits des journalistes. Après avoir été injustement viré du parti ouvrier turc, il a continué sa lutte en créant le quotidien de gauche ANT où il écrivait les réalités concernant la Turquie, mais aussi la gauche dans le monde. Il dénonçait les méfaits du capitalisme et du militarisme, les injustices, les corruptions du gouvernement, il défendait les droits de l’homme, la reconnaissance des différentes ethnies en Turquie, appelait à la solidarité entres les ouvriers, montrait la vraie face des faits et le vrai visage des hommes politiques ou militaires de haut grade.

En parcourant le chemin de vie de Özgüden, j’ai mieux compris ce qu’était aimer son métier passionnément. Pas parce que ce dernier permet de faire fortune ou qu’il permet une carrière reconnue par l’élite, mais tout simplement parce qu’il rend service au peuple, il informe et enseigne correctement la population illettré sur l’actualité. J’ai senti cette passion jusqu’à la dernière page du livre. A la base de cette passion se trouve l’amour du peuple auquel Özgüden se dévouait, auquel il fournissait, à tout prix, les vraies informations, qu’elles plaisent ou pas aux autorités. Sa vie fut une lutte contre l’injustice, la manipulation des citoyens par l’élite politique, contre l’enrichissement des capitalistes, sous l’emprise de l’impérialisme américain, aux dépens du peuple.

Comme le dit le célèbre proverbe turc : derrière tout homme ayant réussi sa vie se trouve une femme. Je tiens à féliciter et remercier Inci Tugsavul, la très chère femme de Dogan Özgüden, également journaliste, pour son courage, sa patience, et surtout pour toutes ses contributions dans la lutte.

De la première à la dernière page du roman, je fus impressionnée par la puissante mémoire de Dogan Özgüden qui se souvient absolument de tout : sa plus petite enfance, les conversations ménagères, les noms de rues et quartiers, les livres et articles lus ou publiés, les noms de ses connaissances,… Non seulement il raconte sa vie, mais il raconte aussi le contexte politique, économique et social dans lequel il a vécu : les retentissements de la seconde guerre mondiale en Turquie, la guerre du Vietnam, la période de déstalinisation, la crise de la Corée, l’abolition du système politique à un parti en Turquie, le coup d’Etat militaire de 1960, etc. D’où le style documentaire du livre.

Je tiens vivement à féliciter Monsieur Özgüden, d’abord parce qu’il ne s’est jamais laissé succomber face aux maintes difficultés vécues au cours de sa vie, et ensuite parce qu’il a partagé ses souvenirs avec nous sous forme d’un excellent roman. C’est avec impatience que j’attends la suite de l’aventure…

(http://www.librenews.eu/?style=other&section=writers&wid=11&aid=2551)

25/02/2011

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